Et maintenant, un petit interlude para-gastronomique sur quelques éléments bien ancrés dans les estomacs nippons.
Le riz, tout d’abord. Élément culinaire incontournable en Asie, il s’incarne sous des formes qui varient subtilement au gré des pays. Et pas en cette bouillie gluante que nous inflige le risotto, ou ces petits bâtonnets aseptisés d’Uncle Bens. Le grain de riz japonais est court, ovale ou presque rond, reconnaissable à sa texture légèrement collante et son odeur.
L’importance du riz se retrouve dans son homonymie avec le concept même de repas: gohan (ご飯), ainsi que son synonyme plus familier meshi (飯), se traduisent tous deux aussi bien par “riz cuit” que par “repas”. Riz cuit, car il existe des mots pour chacune des étapes de la culture du riz: le plant, ine (稲); la cosse, momi (籾); le grain, kome (米). Ou encore raisu (ライス), importé phonétiquement de l’anglais.
Ensuite, on distingue au moins deux types de plants: l’uruchimai (粳米), riz non-gluant standard, et le mochigome (もち米), dit “gluant” ou “collant”. Orthogonalement, on distingue aussi plusieurs types de grains: le hakumai (白米), riz blanc poli standard, le genmai (玄米), riz brun non-poli qu’on retrouve notamment dans le thé vert au riz grillé (genmaicha), et le haigamai (胚芽米), partiellement poli pour en ôter l’écorce mais pas le germe.
Mais mieux vaut les goûter ou les voir pour le croire. Merci à Mikaël pour son éclairage sur certaines de ces subtilités!
Le riz se consomme ainsi sous diverses formes, bien que la plus répandue soit nature, éventuellement accompagné de tsukemono, les fameux petits pickles japonais. Sinon, on le retrouve bien évidemment dans les sushi, mais aussi en yakimeshi (焼き飯, riz sauté ou, littéralement, grillé) ou dans les gâteaux de riz mochi (餅), pour lesquels on utilise du riz gluant (d’où “mochigome”, logique).
Deuxième pilier de l’édifice gastronomique japonais, la soupe miso (miso shiru, みそ汁), dont le rôle pourrait être assimilé au panier de pain frais en France.
Le miso est une pâte constituée d’un mélange fermenté de riz, orge, soya et autres céréales. Le résultat, très riche en protéines, vitamines et minéraux, existe principalement en deux variantes: blanc ou rouge.
Son goût et sa texture se reconnaissent facilement dans les différents plats auquel il est adjoint (rāmen, nabe, etc), mais on le consomme principalement et quotidiennement sous forme de soupe accompagnant les repas. Pour cette préparation très simple, le miso est dilué dans un bouillon (dashi, 出し) auquel on ajoute quelques distractions, typiquement du tofu, de la ciboule (negi, 葱) et des algues wakame (わかめ). Par la magie de la convection de température, le miso s’anime dans la soupe en un mouvement bien caractéristique. Servi dans un bol en bois sans cuillère, le miso shiru se boit en portant le bol à sa bouche, après avoir mangé le solide à l’aide de ses baguettes.
Rien n’empêche toutefois de transformer une timide soupe miso en plat de résistance en y incorporant des pommes de terre, des champignons, du radis chinois (daikon, 大根), du poisson, des crevettes ou du porc.
Plus loin, dans le registre des grignoteries pour combler les petits creux, on trouve entre autres le kare pan (カレーパン, ou pain curry), une espèce de boule de Berlin frite où du curry remplace la confiture, et surtout les onigiri (お握り), ces boulettes de riz, généralement entourée de feuilles d’algue (nori, 海苔), et fourrées d’ingrédients variés: poisson, crevette, prune, etc. On les trouve partout pour environ 100 yens, mais il est aussi populaire de les confectionner soi-même à la maison. Mention spéciale pour les onigiri grillés au fromage, saupoudrés d’épices piquants.
Et enfin, évidemment, l’incontournable bentō (弁当) ou Japanese lunch box. Le bentō, c’est un peu un symbole de l’esprit japonais: à la fois pratique, élégant, minutieux et bien pensé. Un produit de consommation de masse populaire mais raffiné. On le mange froid ou parfois réchauffé, et il comprend toujours une paire de baguettes et un cure-dent.
A l’instar d’un bon repas japonais, un bentō présente une panoplie de petits échantillons de plats variés, tant dans le goût et les ingrédients que les formes et couleurs: riz au sésame noir, tonkatsu (porc panné), poulet frit, cake de poisson, champignons parfumés, tranche de saumon grillé, spaghettis, algues diverses, rouleaux d’omelette, gingembre, umeboshi (梅干, prune salée), etc. Au final, un festival type micro-extraits de plateaux-repas d’une compagnie de dégustation aérienne et des mélanges gastro-hédonistes sans limite.
On en trouve aussi bien des modèles bon marché (500-1′000 yens) dans le supermarché du coin ou la gare de shinkansen que des versions de luxe (parfois jusqu’à 40′000 yens!) dans des department store et autre magasins spécialisés. Varieront alors tant la qualité du contenu (simple crevette vs langouste géante) que celle du contenant (carton coloré vs bois noir laqué). Option alternative: la préparation maison, soi-même ou par sa mère ou épouse bienveillante. Pour assurer un raffinement maximum, on veillera à emballer le bentō dans un morceau de tissu appelé furoshiki, une tradition encore perpétuée aujourd’hui. Voire encouragée, pour son côté pratique et écologique.
Le sujet est bien trop vaste et les créations trop variées pour s’y attarder ici. Je vous renvoie donc vers la page Wikipedia, des blogs de bentō imagés impressionnants ou tout mignons, ou encore une belle galerie de furoshiki.
Toutes les petites cochonneries susmentionnées se dénichent nuit et jour dans le repère commun des salarymen, otaku, femmes au foyer et étudiants fauchés, le centre névralgique du Japon insomniaque, le symbole du pragmatisme consumériste, la maman des magasins de quartier, j’ai nommé le konbini (コンビに, pour convenience store).
On y trouve, en vrac, de la nourriture, de l’alcool, du café chaud en canette, des cartes de recharges pour son prepaid keitai, des bouteilles de Calpis, des gauffres, de la barbe à papa en sachets, des chemises, des DVDs, de l’oxygène en spray, des distributeurs de billets, des manga, des calpins lignés, des parapluies, des petites billes pour que son bain sente le onsen en bois de pin, etc.
7-Eleven, AM/PM, Lawson, FamilyMart et autres chaînes sauvent ainsi quotidiennement la vie de milliers de japonais en cas de soif, de faim, de pluie ou de nuit blanche. Véritable institution, on en comptait 43′667 au Japon en 2005, pour une population de 127 millions d’habitants. Soit plus d’un konbini pour trois mille habitants japonais.