Le lendemain est consacré aux environs de Kannawa, le village au nord-ouest de Beppu, dont la particularité est d’abriter toute une série d’enfers, ou jigoku. Les enfers sont des sources d’où les eaux émergent en bouillonnant, un peu à la manière de geysers mais sans les jets périodiques; ici, les gros jets de vapeurs sont canalisés et alimentent des bassins qui se teignent de différentes couleurs (bleu, rouge, blanc, etc).
L’aspect infernal ne se cantonne toutefois pas uniquement à ces bassins pour touristes. Le hameau tout entier est envahi par un enchevêtrement de tuyaux brûlants, de cheminées de vapeur, de ruisselets fumants le long des trottoirs. Les soufflements permanents évoquent plus que jamais la lourde respiration de cette île volcanique. Tout un petit monde posé sur une soupape sous pression, la soupape des enfers.
Des enfers qui débouchent occasionnellement sur des bouts de paradis.
Le Lonely Planet recommande deux onsen naturels “secrets”, Tsuru-no-yu et Hebi-no-yu (le suffixe -yu signifie bain, comme dans yukata, habit de bain). L’office du tourisme de Beppu, en revanche, essaie vigoureusement de décourager les touristes de s’y rendre, en prétextant théâtralement qu’ils n’ont rien de spécial, juste un pauvre onsen entouré de buisson, circulez ya rien à voir.
Un peu louche, tout de même. Il n’y a plus qu’à aller voir ça de ses propres yeux. Et bien m’en pris, puisqu’il s’agit du plus bel onsen que j’ai pu visiter. Imaginez une route qui bifurque depuis l’arrêt de bus et grimpe le long de la montagne, longe un cimetière avec une magnifique vue sur la baie de Beppu, et se termine en vilain cul-de-sac. Mais de là part un petit sentier de terre, droit dans les fourrés, quelques zigzags derrière des bosquets avant de rejoindre un petit ruisseau blanchâtre qui, quelques dizaines de mètres plus loin, s’échappe du bassin clair du fameux onsen de Tsuru-no-yu. Un petit abri très simple offre un peu d’ombre pour se reposer entre deux baignades. Le tout se niche dans un petit vallon perdu, avec pour seul fond le chant des insectes et le bruissement des herbes.
Le calme est divin. À force d’habiter une métropole, on finit par oublier le son du silence.
D’abord seul dans cette petite enclave de paradis, je suis rejoint peu après par Sam, une globe-trotter anglaise déjà rencontrée dans le bus un peu plus tôt dans la journée, puis un japonais grisonnant, probablement un habitué.
Une fois bouilli par le onsen et rôti par le soleil, je reprends mes habits et la route, avec Sam, pour aller visiter quelques enfers. Chacun propose une ambiance un peu différente, tantôt un petit aquarium adjacent, tantôt un petit sanctuaire shintō décoré de quelques torī. Sans oublier des “onsen pour les pieds”, pour récompenser ceux qui n’ont pas pris le bus.
Pour la nuit, j’avais réservé une chambre dans un ryokan (auberge traditionnelle japonaise, vous suivez?), et le prix (6500 yens, 65 CHF) comprenait le soûper, délicieux. Un mini-marathon de soba, des sashimi, beignets de poulet, tofu de cacahuète, et un nombre alarmant d’autres petits délices nippons constituent ledit soûper.
Une fois l’épisode gustatif terminé, je reprends le bus avec Sam en direction d’un centre thermal à onsen. L’établissement contraste avec les précédents bains de par sa modernité et son confort. Néanmoins, le cadre reste très typique. La plupart des bassins sont en plein air sur des terrasses aménagées pour conserver l’intimité des baigneurs tout en profitant du coucher de soleil sur la baie de Beppu. On y trouve aussi ces espèces de mini-saunas de poche individuels, tout en bois et dont seule la tête émerge. Avec les gargouillement de l’eau bouillante sous le siège, on a l’impression, probablement correcte, d’être assis sur un volcan qui fait momentanément une sieste.
Et ces grands bacs d’eau en pierre, qui débordent et éclaboussent les alentours quand on y entre. Les jambes posées sur le rebord, on s’asperge d’eau chaude avec le seau en bois à disposition, les sens à l’écoute de la nuit qui se pose lentement sur la montagne.
De retour au ryokan, il est encore suffisamment tôt pour risquer de reprendre — et pratiquement terminer — la lecture du dernier Harry Potter. Il y a quelque chose de résolument particulier à lire les histoires d’une bande de magiciens en robe parcourant une Angleterre nostalgique de tradition, tout en buvant du thé vert, couché sur un futon dans une chambre tapissée de tatami, puis d’enfiler son yukata pour aller se baigner dans le onsen commun avant de se coucher.