Après avoir présenté les yakitori (poulet grillé), il est temps de généraliser avec le yakiniku (焼き肉 ou 焼肉), soit “viande grillée”. Son appellation anglaise alternative, “Korean barbecue”, explicite déjà plus précisément l’idée: faire griller des petits bouts de bidoche (et quelques légumes) sur un barbecue.
Cette fois, exit les discriminations animales arbitraires, tout y passe: bœuf, porc, poulet, abats, fruits de mer, légumes. Mille délices dorent ainsi au dessus du feu, sous l’œil attentif des convives prêts à attaquer les morceaux d’un coup de baguettes.
Dans les restaurants, spécialisés comme on l’a dit, le grill en question fait partie intégrante de la table. Un système de ventilation évoquant les souffleries de Boeing complète parfois l’installation et évite de devoir mettre en quarantaine ses habits après deux heures de grillades intensives.
Bien qu’on se régale aussi de porc, voire de poulet, la viande la plus typique consommée en yakiniku est le bœuf. Comme rien n’est jamais simple, il faut encore choisir entre rōsu (filet) et karubi (côtes, sans os). Les morceaux sont généralement coupés en tranches plus ou moins fines, mais suffisamment petites pour être avalées en une ou deux bouchées.
La texture même de la viande est aussi particulière comparée aux grillades occidentales. La meilleure viande est subtilement marbrée, c’est-à-dire que le gras est distribué dans tout le morceau comme un filet moëlleux, plutôt qu’accumulé en une obscène couronne blanchâtre autour du muscle. Le résultat, tendre, juteux, goûteux, est tristement méconnu de nos papilles gustatives européennes. Il semblerait même que ce gras serait significativement plus pauvre en cholestérol que celui qu’on fuit dans nos viandes.
La qualité de la viande dépend bien sûr du prix qu’on y met, avec pour apothéose le célèbre “bœuf de Kobe” dont on reparlera dans un prochain épisode. Toutefois, d’autres viandes sont aussi servies pour amortir l’impact sur le porte-monnaie. Outre le porc et le poulet, les abats constituent une autre spécialité des grillades japonaises avec notamment du foie (レバー, rebā), du cœur (ハツ, hatsu) ou des tripes.
En japonais, les abats se disent motsu (もつ) ou horumon (ホルモン). Si comme moi vous avez cultivé une certaine appréhension pour ce dernier terme, en raison de sa consonnance para-cycliste, sachez qu’il ne s’agit bel et bien pas, contrairement à ce que son nom en katakana semble indiquer, d’un “steak d’hormones de boeuf”. L’étymologie exacte est incertaine, mais viendrait probablement de hōrumon (放る物) en dialecte du Kansai (関西弁, kansaiben), qui signifie “les choses qu’on jette”. Les abats quoi.
Ces délicieux petits bouts d’animaux morts se dégustent, comme toujours, à l’aide d’une sauce (たれ, tare), encore une fois préparée à base de sauce soya, mirin, sake, etc. Le mélange standard, inexplicablement différent avec chaque type de plat.
Pour les végétariens (qui décidément se sont trompés de restaurant), des légumes sont aussi disponibles en lot de consolation: poivrons, carottes, oignons, aubergines, pommes de terre, maïs, champignons, kabocha (カボチャ, courge japonaise) et compagnie. De quoi se distraire les papilles entre deux bouts de viande, surtout que le riz est parfois en option.
Au Japon, l’esprit orgiaque de telles grillades est assuré par la commande de menus à discrétion: tabehōdai (食べ放題) pour la nourriture, nomihōdai (飲み放題) pour les boissons. Ou, idéalement, les deux à la fois, soit tabenomihōdai (食べ飲み放題).
À partir de 2500 yens environ, suivant la combinaison choisie et la variété du menu, le festin peut commencer avec des munitions illimitées de viande, légumes, riz, bière, sake, cocktails, etc. La consommation étant restreinte dans le temps, deux heures en général, la ruée vers l’auge prend vite des allures olympiques. Cependant, même les gros mangeurs finissent toujours repus (et raisonablement éméchés).
Bonus: par synchronisation tout à fait involontaire, Robin vient de publier une entrée sur un repas de yakiniku sur son blog Tabemonogatari!