O-bon à Kyūshū, partie 1 (Fukuoka, tradition et surréalisme)

Pendant que les suisses ressortent leur veste polaire en plein mois d’août, le thermomètre s’est enflammé au Japon pour atteindre des valeurs records ces derniers jours, jusqu’à 38°C jeudi passé, avec les habituels 50% d’humidité. Après vingt-cinq minutes de marche au soleil, on rejoint les bureaux climatisés de NEC à la nage et on passe vingt minutes aux toilettes à s’éponger avec son indispensable serviette.Pour échapper à la canicule, bon nombre de japonais profitent des vacances d’été (O-bon) pour s’enfuir sur l’île septentrionnale d’Hokkaidō, ce qui a pour regrettable conséquence d’en faire une destination bondée et onéreuse.

Direction le sud, donc, sur l’île de Kyūshū.

Bistrot à yakitori

Comme d’habitude le shinkansen s’avère très pratique, confortable et rapide. Juste assez cher. Première étape Fukuoka (AKA Hakata) qui, du haut de son million et demi d’habitants, dégage une ambiance de petite métropole conviviale. Les petits ramen-ya (spécialité de la ville) se mêlent aux édifices de vitres et de néons, les love hotels côtoient sanctuaires shintos et hypermarchés.

Après un petit somme (repos oblige, ce voyage suivait l’intense concert de Buffalo Daughter), la faim s’annonce. Je sors direction Tenjin, à l’ouest de la ville, un oeil sur le ciel soudain d’un noir suspect. Deux minutes et il est déjà trop tard, la pluie s’abat sur la ville. Comme tout le monde, je me précipite dans un combini pour acheter un parapluie (500 yens, soit 5 CHF) et je continue mon chemin sous les gouttes qui forcissent.

Déluge à Fukuoka

Plus grand monde sur les trottoirs, à peine quelques cyclistes filant sur la route détrempée, leur parapluie ouvert et chahuté par les rafales de vent. Les trombes d’eau martèlent la ville et, par la même occasion, mes chaussures.

Je finis par me jeter dans une bouche de métro et soudain la pluie s’arrête. Des catelles blanches recouvrent un tunnel silencieux, sec et frais. La transition est saisissante, de la surface sombre malmenée par les éléments vers ce souterrain aseptisé. La galerie continue et m’emmène au sous-sol d’un depato (department store), le niveau alimentation toujours, qui ressemble avant tout à un étalage exagéré de nourriture de luxe, un paradis des yeux et du palais habité par de souriantes vendeuses. À côté de ces merveilles, Globus passerait pour le rayon surgelé de Denner.

Galerie victorienne surréaliste

Je m’échappe par une autre sortie pour déboucher sous l’une des artères principales. Encore un autre univers: le calme enveloppe cette rue, à peine perturbé par les murmures des passants et le claquement de leurs talons sur les pavés. Un mélange de costards, yukatas, étudiantes en jupe et ados branchés déguisés en Bon Jovi et Beyonce, tous défilent sous les arches de fer forgé qui ferment le plafond de cette galerie souterraine. Les murs, sombres, mettent en évidence les vitrines éclairées des échoppes de luxe vendant sacs à main, habits, pâtisseries. Des lampadaires victoriens éclairent les escaliers remontant à la surface le long de murs de briques rouges, ce qui renforce l’ambiance d’une Londres surréaliste, enfouie sous la réalité. Discrètement, du jazz style New Orleans tapisse le fond sonore.

Yatai

De retour au rez-de-chaussée de la réalité, la pluie a cessé. J’en profite pour vaquer tranquillement dans les rues environnantes, avant de me décider pour un yatai, une de ces échoppes/bar/restaurant ambulantes qui redéfinit allègrement l’interprétation japonaise de “boui boui”. Puisque le menu est, comme d’habitude, en kanji, je commande ce qui se trouve à la portée de mon doigt et ce que les voisins, qui ne parlent, toujours comme d’habitude, pas anglais, me recommandent.

Ce qui met à disposition de mes papilles gustatives différents mets relativement indéterminés, mais qui seront approximés ici par: un ragoût aux abats quelconques, du riz grillé (sutamina yakimeshi), un sazae bouilli (une sorte d’escargot de mer géant), etc. Délicieux et bien typiques.

Rivière et néons

Il est encore tôt et je continue mes pérégrinations aléatoires une fois repu. Un obscur bar à jazz aux murs recouverts de vinyles, et l’occasion de déguster un peu de shōchū de Kyushu (alcool de pomme de terres). Dehors, l’air est inhabituellement agréable, en particulier depuis le pont qui surplombe la rivière qui traverse la ville en plusieurs bras, baignée de reflets des néons multicolores.

Enfin, sur l’insistance du sommeil, je rentre retrouver mon lit et mettre mes chaussures à sécher.

Canal City, über centre commercial
Sanctuaire Shōfuku-ji